Obama: reculer (à droite) pour mieux sauter (à gauche) ?

janvier 28th, 2010 Commentaires fermés

Barack Obama n’est pas au mieux depuis quelques mois. Les choses ne s’arrangent pas, ou pas assez vite, sur le front de l’emploi ; la réforme du système de santé n’aboutit pas malgré le soutien populaire ; les électeurs s’impatientent quand ils ne sont pas déjà déçus, et les thèses anti-impôts anti-État de la droite -incarnées par Sarah Palin, par Fox News, par les Tea Parties- retrouvent de l’audience chez les Américains.

Dans cette tempête, la réaction d’Obama -telle qu’exprimée ce mercredi soir dans son discours sur l’état de l’Union- peut paraître assez décevante: refus du partisianisme et recherche du consensus avec les Républicains, léger attentisme sur la réforme de la santé, baisse d’impôts pour les entreprises au lieu d’un nouveau round de relance keynésienne, retour de la rigueur budgétaire (spending freeze) dans des domaines clés tels que l’éducation, mais pas pour la défense…

Barack Obama a peut-être stratégiquement raison de chercher le compromis avec les Républicains, mais politiquement, ça n’est pas la voie du changement tant attendu ( »A Change We Can Believe In »), pour une raison simple: les Républicains s’opposeront toujours à une extension du rôle de l’État dans la vie économique et sociale. Ils ne voulaient pas d’un vaste plan de relance économique, ni d’une augmentation des impôts pour les plus riches ; ils ne veulent pas d’une grande assurance-santé publique, ni d’une meilleure régulation de la finance, ni d’une législation contraignante sur le climat… Les Républicains veulent avant tout deux choses: moins d’État, moins d’impôts. Qu’importe que l’immense majorité des dépenses publiques se fassent au niveau local et non fédéral ; qu’importe que les inégalités économiques soient en forte augmentation depuis 20 ans et que la reproduction sociale soit plus forte aux États-Unis qu’en Europe ; qu’importe que l’état actuel du marché de l’emploi requiert autre chose que de simples baisses d’impôts…

Mais si les Républicains sont là, et si puissants, médiatiquement, politiquement, idéologiquement, c’est avant tout à cause des électeurs américains. Les lobbys jouent un rôle, qui va d’ailleurs croître à l’avenir, mais le fond du problème reste tout de même lié à la société américaine et à ses électeurs, finalement assez poujadistes pour une bonne partie: leur culte des libertés (notamment économiques, politiques et religieuses) leur fait oublier des choses simples comme le rôle essentiel de l’État comme régulateur, redistributeur, arbitre. Oublier ? Peut-être pas. Peut-être ne l’ont-ils en fait jamais vraiment appris, hormis il y a 70 ans sous Roosevelt pour le New Deal. En tout cas, cela fait sûrement 30 ans qu’aucun Président n’a explicitement proposé un retour de l’État aux Américains.

La gauche américaine espérait que Barack Obama serait le Président du retour de l’État (notamment dans sa version État-Providence) et que la société américaine le suivrait dans cette direction social-démocrate, européenne. Et le plan de relance du début de mandat, assez important, était clairement d’inspiration keynésienne. Mais finalement, un an plus tard, la politique économique de Barack Obama semble plutôt pencher dans l’autre sens, celui du rattachement aux idées néolibérales, presque reaganiennes.

Je ne pense pas que ce revirement de politique économique reflète les convictions de Barack Obama ou de son staff. Je pense plutôt qu’ils y sont contraints car, comme l’a dit le Président dans son discours, « chaque jour à Washington est un jour d’élection » (il le regrette visiblement, et moi aussi). Or le mécontentement des Américains se fait de plus en plus pressant (les sondages et la défaite électorale dans le Massachusetts le montrent): l’exécutif doit donc faire quelque chose.  Étant donné que le déficit est déjà très élevé et qu’un nouveau plan de relance serait rejeté par le Congrès, Barack Obama a choisi une voie consensuelle, qui va dans le sens du vent: celle des baisses d’impôts et de la rigueur budgétaire. L’idée que ce changement est en fait surtout symbolique, politique, stratégique, se confirme quand on regarde ce qu’a annoncé Barack Obama lors de son discours: de nouvelles baisses d’impôts, mais faibles, et de la rigueur budgétaire, mais très limitée puisque ses effets ne porteront en réalité que sur 1/5 du budget seulement.

Espérons que ce léger pas de côté ne sera que temporaire et que, sur les questions économiques, sociales, internationales, Barack Obama concrétisera vite ses convictions progressistes, quitte à se heurter à du vent de face.

Tranches de précarité #2

octobre 24th, 2009 Commentaires fermés

C’est l’histoire d’une étudiante américaine qui va à la même université que moi, Portland State University. Il y a quelques mois, deux jours après la fin des cours du 3ème trimestre (Spring Term) et alors qu’elle allait reprendre les cours quelques semaines plus tard pour une session en été (Summer Term), elle a eu un accident et s’est cassé le poignet (vraiment cassé). Elle a du subir une opération chirurgicale consistant à remplacer ses os de l’avant-bras et du poignet par une tige en métal d’une quinzaine de centimètres. Coût de l’opération: $30 000. Tout au long de l’année universitaire, cette étudiante avait payé l’assurance de l’université, mais l’université n’a rien remboursé parce que l’accident n’avait pas eu lieu pendant une période de cours. Légalement, l’université n’a rien à se reprocher. Sa famille a du tout prendre en charge.

    Le rêve américain serait-il un mythe ? C’est en tout cas ce que laissent penser de nombreux chiffres sur les inégalités et leur perpétuation entre les générations. Cet article résume une partie de ces données. Si les couches sociales ont tendance à plus se reproduire aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple, on le doit au moins en partie au coût de l’éducation: niveau d’études et salaires étant très liés, ceux qui ne peuvent étudier dans le supérieur faute de moyens restent généralement dans la pauvreté.

      Conséquence directe de la crise, le salaire minimum légal va baisser dans le Colorado: les prix ayant diminué avec la chute de la demande, le salaire minimum légal suit le mouvement. Une première depuis la création du salaire minimal en 1938.

        Bonne journée.

        Quelques mots sur la crise aux Etats-Unis

        octobre 7th, 2009 Commentaires fermés

        Autant vous le dire tout de suite, je n’ai rien de bien particulier à dire sur la crise économique aux Etats-Unis: ma présence ici ne m’apporte pas grand chose en plus, et je ne vois ou ressens pas vraiment les effets de la crise. Il y a bien sûr de la pauvreté, mais je ne sais pas dans quelle mesure la crise a pu aggraver le problème. Je regrette un peu de ne pas pouvoir témoigner de quoi que ce soit, mais c’est probablement une bonne nouvelle. Ce billet n’a donc pas vraiment de valeur ajoutée, veuillez m’en excuser ;-) J’ajoute que, si vous n’êtes pas du tout intéressé par l’économie ou la politique, vous feriez mieux de passer votre chemin: ce billet n’est pas long mais il est potentiellement chiant pour pas mal de monde.

        Parmi les chiffres dont on dispose pour évaluer la situation, il y a cet indice, The Real Misery Index, que je ne connaissais pas mais qui indique une progression récente de la misère aux Etats-Unis, d’environ 6% depuis le début de l’année. Cependant, le Misery Index, plus officiel mais plus simple, ne montre pas de montée significative de la misère depuis 10 mois, notamment car on le calcule en faisant la somme du taux de chômage et de l’inflation (hors l’inflation est négative en ce moment, ce qui fait logiquement baisser l’indice). Personnellement, entre les deux indices, je ferais plutôt confiance au premier, car il prend en compte beaucoup plus de choses que le second, mais ce n’est qu’un avis.

        Autre chiffre, le taux de chômage: il augmente, en Oregon comme partout ailleurs. Il est d’environ 13% en Oregon, contre une moyenne nationale de 10%. Portland étant la ville la plus active et attrayante de l’Oregon, le taux de chômage y est sûrement inférieur. Pour info, avant la crise, il n’y avait que 5% de chômeurs, en Oregon comme dans le reste du pays. Aujourd’hui, avec ses 13% de chômage, l’Oregon est le 4ème état le plus touché par le chômage, le premier de la liste étant le Michigan.

        Parlons du Michigan. Cet état se trouve dans la région des Grands Lacs, Détroit, la Rust Belt… Il est connu pour la prédominance de son secteur automobile, en profonde crise depuis quelques années. Au Michigan, le taux de chômage est de 15%, record national. C’est un chiffre violent, mais quand on regarde l’évolution sur une plus longue période (comme l’a fait un prof de philo du Michigan sur son blog), c’est encore pire. Entre 2000 et aujourd’hui, le Michigan a perdu 20% de ses emplois dans le secteur privé. Ces emplois perdus représentent 1/4 des emplois détruits par l’économie américaine toute entière depuis 2000! Pour que le Michigan retrouve à moyen terme son niveau d’emploi de l’année 2000, il faudrait qu’il crée 100 000 emplois de plus chaque année pendant 8 ans, un rythme absolument intenable.

        Dernier point: on aurait pu penser que la crise financière, en faisant fondre les patrimoines et les revenus boursiers, allait entraîner une réduction des inégalités aux Etats-Unis. Aucun rétrécissement n’a été observé pour l’instant (j’aimerais vous donner les chiffres mais je l’ai simplement entendu dans ce podcast de France Cu). Les Etats-Unis vont donc probablement rester, pour longtemps encore, un des pays les plus inégalitaires parmi les pays riches, comme en témoigne les deux graphes ci-dessous, tirés des travaux de l’économiste français Emmanuel Saez.

        Aux Etats-Unis, les 10% de la population les plus riches captent la moitié des revenus (contre 35% en France).

        Et les 0,1% les plus riches captent 7,5% des revenus, contre 2% en France environ.

        Bonne journée à tous et à bientôt.

        Tranches de précarité

        septembre 24th, 2009 Commentaires fermés

        Les Etats-Unis sont le pays le plus riche du monde et disposent d’un PIB/habitant très élevé (autour de $40000 par an), mais ils n’ont pas de modèle social digne de ce nom et beaucoup, beaucoup d’Américains vivent dans la précarité.  Voici deux exemples, très classiques et connus, que mon colocataire et moi avons abordés.

        Premier exemple, la santé. Mon colocataire travaille dans une petite entreprise (un magasin de vélos) qui n’est pas suffisamment grosse pour pouvoir lui fournir une assurance santé. Il profitait donc jusqu’à présent de la  couverture de sa compagne, avocate pour le compte de l’Etat. Or, sa compagne est partie étudier en Europe. Elle a donc quitté son travail, et va perdre son assurance, ce qui affectera directement mon colocataire. Ces dernières semaines, sachant qu’il allait perdre sa couverture, il a passé de nombreuses visites médicales pour ne pas avoir de mauvaises surprises dans les prochains mois. Tout semble bon pour lui aujourd’hui, mais s’il venait à avoir un problème de santé, il aurait inévitablement de gros ennuis financiers. Cette situation va peut-être changer bientôt si la réforme du système de santé américain passe, mais la chose n’est pas certaine pour l’instant et il faut donc vivre avec cette épée de Damoclès sur la tête. Voilà une tranche de précarité, bien connue mais toujours déroutante pour un français.

        Un autre exemple concerne les congés payés. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de minimum légal à ce niveau-là. Ainsi, un quart des travailleurs américains n’a pas la moindre semaine de congés. La moyenne est de 14 jours par an, mais ce chiffre, déjà très faible, cache de fortes disparités. Mon colocataire a la chance d’avoir de la valeur aux yeux de son employeur, et a donc pu négocier 4 semaines de congés payés, mais sa compagne avocate n’a que 2 semaines par an! Dernier chiffre pour finir: seuls 14% des Américains prennent deux semaines de vacances consécutives.

        Bref, il est plaisant de passer du temps aux Etats-Unis, d’y voyager, d’y étudier… mais il ne fait pas toujours bon y travailler.

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