Obama: reculer (à droite) pour mieux sauter (à gauche) ?

janvier 28th, 2010 Commentaires fermés

Barack Obama n’est pas au mieux depuis quelques mois. Les choses ne s’arrangent pas, ou pas assez vite, sur le front de l’emploi ; la réforme du système de santé n’aboutit pas malgré le soutien populaire ; les électeurs s’impatientent quand ils ne sont pas déjà déçus, et les thèses anti-impôts anti-État de la droite -incarnées par Sarah Palin, par Fox News, par les Tea Parties- retrouvent de l’audience chez les Américains.

Dans cette tempête, la réaction d’Obama -telle qu’exprimée ce mercredi soir dans son discours sur l’état de l’Union- peut paraître assez décevante: refus du partisianisme et recherche du consensus avec les Républicains, léger attentisme sur la réforme de la santé, baisse d’impôts pour les entreprises au lieu d’un nouveau round de relance keynésienne, retour de la rigueur budgétaire (spending freeze) dans des domaines clés tels que l’éducation, mais pas pour la défense…

Barack Obama a peut-être stratégiquement raison de chercher le compromis avec les Républicains, mais politiquement, ça n’est pas la voie du changement tant attendu ( »A Change We Can Believe In »), pour une raison simple: les Républicains s’opposeront toujours à une extension du rôle de l’État dans la vie économique et sociale. Ils ne voulaient pas d’un vaste plan de relance économique, ni d’une augmentation des impôts pour les plus riches ; ils ne veulent pas d’une grande assurance-santé publique, ni d’une meilleure régulation de la finance, ni d’une législation contraignante sur le climat… Les Républicains veulent avant tout deux choses: moins d’État, moins d’impôts. Qu’importe que l’immense majorité des dépenses publiques se fassent au niveau local et non fédéral ; qu’importe que les inégalités économiques soient en forte augmentation depuis 20 ans et que la reproduction sociale soit plus forte aux États-Unis qu’en Europe ; qu’importe que l’état actuel du marché de l’emploi requiert autre chose que de simples baisses d’impôts…

Mais si les Républicains sont là, et si puissants, médiatiquement, politiquement, idéologiquement, c’est avant tout à cause des électeurs américains. Les lobbys jouent un rôle, qui va d’ailleurs croître à l’avenir, mais le fond du problème reste tout de même lié à la société américaine et à ses électeurs, finalement assez poujadistes pour une bonne partie: leur culte des libertés (notamment économiques, politiques et religieuses) leur fait oublier des choses simples comme le rôle essentiel de l’État comme régulateur, redistributeur, arbitre. Oublier ? Peut-être pas. Peut-être ne l’ont-ils en fait jamais vraiment appris, hormis il y a 70 ans sous Roosevelt pour le New Deal. En tout cas, cela fait sûrement 30 ans qu’aucun Président n’a explicitement proposé un retour de l’État aux Américains.

La gauche américaine espérait que Barack Obama serait le Président du retour de l’État (notamment dans sa version État-Providence) et que la société américaine le suivrait dans cette direction social-démocrate, européenne. Et le plan de relance du début de mandat, assez important, était clairement d’inspiration keynésienne. Mais finalement, un an plus tard, la politique économique de Barack Obama semble plutôt pencher dans l’autre sens, celui du rattachement aux idées néolibérales, presque reaganiennes.

Je ne pense pas que ce revirement de politique économique reflète les convictions de Barack Obama ou de son staff. Je pense plutôt qu’ils y sont contraints car, comme l’a dit le Président dans son discours, « chaque jour à Washington est un jour d’élection » (il le regrette visiblement, et moi aussi). Or le mécontentement des Américains se fait de plus en plus pressant (les sondages et la défaite électorale dans le Massachusetts le montrent): l’exécutif doit donc faire quelque chose.  Étant donné que le déficit est déjà très élevé et qu’un nouveau plan de relance serait rejeté par le Congrès, Barack Obama a choisi une voie consensuelle, qui va dans le sens du vent: celle des baisses d’impôts et de la rigueur budgétaire. L’idée que ce changement est en fait surtout symbolique, politique, stratégique, se confirme quand on regarde ce qu’a annoncé Barack Obama lors de son discours: de nouvelles baisses d’impôts, mais faibles, et de la rigueur budgétaire, mais très limitée puisque ses effets ne porteront en réalité que sur 1/5 du budget seulement.

Espérons que ce léger pas de côté ne sera que temporaire et que, sur les questions économiques, sociales, internationales, Barack Obama concrétisera vite ses convictions progressistes, quitte à se heurter à du vent de face.

Monologue de comptoir

décembre 11th, 2009 Commentaires fermés

Billet en mode énervé.

Taxer les bonus des traders comme va le faire Gordon Brown, et bientôt Nicolas Sarkozy ? Bullshit! Ça sera à coup sûr inefficace (un enfant de 8 ans trouverait des méthodes pour esquiver la taxe) et ça nous détourne -médias, citoyens et politiques- du seul vrai enjeu: la refonte profonde du système financier international (à laquelle résiste en coulisses Brown, allié des financiers), réforme nécessaire pour éviter qu’une nouvelle crise financière n’éclate dans deux ans et n’ait les mêmes conséquences sur l’économie mondiale que celle que nous vivons en ce moment. Il faut agir sur les causes des dérèglements profonds de la finance moderne, plus que sur leurs conséquences, aussi choquantes soient-elles.

La tribune de Nicolas Sarkozy sur les minarets et l’identité nationale ? Nulle. Il y explique par exemple que ceux qui s’insurgent contre le vote islamophobe et discriminatoire des Suisses méprisent le peuple et nourrissent le populisme. Venant d’un champion de la discipline, c’est comique. Sa tribune est également truffée de sous-entendus qui doivent faire plaisir à la droite islamophobe. Mais, il faut bien le reconnaitre, il y a aussi deux, trois choses justes et un peu de poésie, comme ce passage délicieux: « pour rester soi-même il faut accepter de changer ».

La fin de l’histoire-géographie en Terminale S? Mauvaise idée, mauvais débat. En Terminale S, on étudie beaucoup de choses complexes et fondamentales: la Guerre Froide, la colonisation/décolonisation, la Vème République, les logiques spatiales de la mondialisation, la puissance américaine, l’émergence de l’Asie, la Méditerranée… Impossible d’ajouter tout ça au programme de 1ere avec 1h30 supplémentaire par semaine seulement. La vérité, c’est qu’il faut revoir les programmes et les volumes horaires dans leur globalité. Et ce n’est pas avec ce genre de petites stratégies du moins-disant qu’on revalorisera les autres filières générales si tel est le but, louable, de Luc Chatel.

Inutile ce billet ? Mauvais ? Oui, mais pas autant que ça.

Immigration, identité nationale et asile

novembre 28th, 2009 Commentaires fermés

Dans ce billet, un peu de politique avec ma faible contribution au débat sur l’identité nationale, et un peu de droit puisque je relaye un billet de Maître Eolas que tout citoyen averti doit avoir lu.

Immigration et identité nationale

Incontestablement, les Etats-Unis sont un pays d’immigration: c’est évident dans l’histoire du pays, c’est évident dans sa réalité d’aujourd’hui ; on pourrait dire la même chose de la France. La différence réside dans le fait qu’aux Etats-Unis, la nation est tellement jeune, l’immigration tellement courante, tellement ancrée dans l’histoire familiale de chacun, que les origines étrangères des Américains ne font quasiment aucun doute. En France, beaucoup se croient Français de souche et ont du mal à visualiser les mélanges dont ils sont de lointains descendants.

Le côté dérangeant du débat national sur l’identité nationale, c’est qu’il n’est pas lancé par le ministère de la Culture par exemple, mais par celui de l’immigration et de l’identité nationale, et qu’il semble donc vouloir jouer sur cette distinction infondée entre Français de souche et Français issus de l’immigration. Éric Besson, vu son récent retournement idéologique et son nouveau statut d’expulseur de masse, incarne bien le flou de ce débat, mais le principal responsable de « notre » malaise vient de Nicolas Sarkozy lui-même, qui a été le premier à mêler -on ne sait trop selon quelle logique- l’Immigration et l’Identité nationale dans un même ministère. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas inutile de taper sur Besson, mais qu’il faut garder des forces et des arguments pour le vrai décideur, notre Président.

Sur le fond du débat, je dois bien avouer que je ne sais pas ce que c’est qu’être Français. J’aimerais que ça soit l’appartenance à une communauté de valeurs, Liberté, Égalité, Fraternité ou quelque chose de proche, mais je ne suis pas sûr qu’une seule de ces notions qualifie bien la France actuelle. J’aimerais que ça soit une communauté de destins , d’aspirations, mais je n’ai pas le sentiment que les Français dégagent beaucoup de consensus sur l’orientation politique à donner au pays. Donc, je ne sais pas ce que c’est qu’être Français. Après tout, il n’y a peut-être pas d’identité française, ou elle est tellement ancrée en moi que je ne sais pas la décrire. Ce qui m’intéresserait beaucoup plus, ce serait qu’on essaie de trouver dans les 27 une identité européenne, mais ce débat-là, Sarkozy et Besson s’en foutent tant il est inutile (voire contre-productif) électoralement.

Il y a par contre quelque chose de plaisant dans ce débat sur l’identité nationale: les nouveaux Français, ceux qui viennent d’être naturalisés, ont plus de choses à dire que les autres, que moi en tout cas. Si ça vous intéresse, Le Monde leur a consacré un article pour qu’ils témoignent sur ce qu’est la France et pourquoi ils veulent en être.

Immigration et asile

Contrairement à ce que disait récemment Éric Besson, la France n’est pas première au monde en terme d’accueil de réfugiés, mais troisième derrière les Etats-Unis et le Canada (c’est déjà pas mal donc pas la peine de mentir). La bonne nouvelle, c’est que la France est toujours une des destinations favorites des demandeurs d’asile, preuve que notre pays est encore perçu à l’étranger comme une terre de liberté où il fait bon vivre (et dans l’ensemble, honnêtement, ils ont raison).

En France, c’est l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) qui évalue les dossiers des candidats au statut de réfugié -un statut qui régularise leur situation en France et les protège de toute expulsion vers leur pays d’origine. Pour évaluer les dossiers et prendre une décision juste, éclairée, il faut du temps (rencontrer un par un les demandeurs d’asile pour comprendre leur situation, voir s’ils sont sincères, etc.) et des moyens. Malheureusement, l’OFPRA a de plus en plus de difficultés à bien faire son travail et a donc mis en place des méthodes pour accélérer le traitement des demandes. Parmi ces méthodes, la « liste des pays sûrs », qui répertorie des pays qui réunissent des conditions (justice, protection, etc.) que le conseil d’administration de l’OFPRA juge suffisantes pour y renvoyer des ressortissants sans les mettre en danger. Quand un pays est sur cette liste, les ressortissants n’ont plus le droit d’asile -c’est-à-dire qu’ils ne sont plus protégés en attendant que l’OFPRA accepte ou rejette leur candidature au statut de réfugié, ils peuvent être renvoyés dans leur pays sans ménagement, ne bénéficient pas de l’aide aux demandeurs d’asiles (300 euros par mois) et l’OFPRA n’a pas à les rencontrer individuellement avant de rendre sa décision. Bref, quand un pays est sur la liste des pays sûrs, ses ressortissants demandeurs d’asile ont très peu de chances d’obtenir le statut de réfugié en France et vivent de façon ultra-précaire (financièrement et légalement) en attendant la décision de l’OFPRA.

L’ennui, c’est qu’à cette liste des pays sûrs vient d’être ajoutée la Turquie, pays fort respectable mais qui a quelques problèmes avec certains opposants politiques au point que l’an dernier, la France a accepté le statut de réfugié à 700 turcs. Un pays qui « produit » 700 réfugiés en 2008 rien qu’en France, est-ce un pays sûr ? Le conseil d’administration de l’OFPRA répond oui ; Maître Eolas répond non (billet à lire) et espère que le Conseil d’Etat contredira l’OFPRA.

C’est tout pour aujourd’hui. A bientôt.

PS: oui, la dinde de Thanksgiving était bonne, excellente même.

En rire ou en pleurer

novembre 6th, 2009 § 2

Encore un billet politique, pompeux et ironique. Mais il y a quelques informations à l’intérieur.

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Le 23 Juin 2009, Mme Christine Albanel, Ministre de la Culture et de la Communication de la République Française, a décoré 25 de ses valeureux collaborateurs de l’ordre des Arts et des Lettres, censé récompenser « les personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire, ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde ». Ont notamment été distingués lors de cette joyeuse cérémonie un chauffeur du ministère, un maître d’hôtel, des chefs de cabinets et des conseillers. Nul doute que ces personnes de qualité ont effectivement contribué au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde ; je m’associe d’ailleurs à la nation pour les en remercier. Tout le délice de ces récompenses tant méritées réside dans leur soudaineté: la Ministre a jugé bon de distinguer ces personnes  le 23 Juin, soit le jour-même de son départ du ministère, où elle allait laisser la main à Frédéric Mitterrand… Comme si l’annonce de son éviction avait incité la Ministre à corriger l’injustice que subissaient ses quelques 25 amis, formidables ambassadeurs de la culture française pas encore remerciés.

Ces jours-ci au gouvernement, on prépare chaudement le pot de départ de Rama Yade. On dit même que c’est Nicolas Sarkozy qui organise en coulisses les festivités. Dans les salons ministériels, tout le monde s’impatiente, notamment les fêtards du groupe que sont François Fillon et Nadine Morano: « C’est quand qu’on fait la fête à Rama ? ». Nul doute que le moment viendra, mais il va falloir attendre quelques temps, au grand dam des invités. Car en ce moment, Rama vit le grand amour avec les Français et cette idylle ne laisse que peu de répit à Rama pour les mondanités.

Chez les exclus, ces anciens ministres qui n’ont plus leurs entrées à l’Elysée, l’heure est à la réflexion. Il y a quelques mois, le Président les a remerciés ; il leur avait alors gentiment proposé de prendre du repos, par exemple dans une ambassade en bord de Méditerranée, ou dans une cité-Etat sacrée. Finalement, on ne sait pas bien ce qui va se passer, toute la question étant de savoir si les gestes attentionnés du Président sauront leur faire raison garder. Mais il semblerait que Yves Jégo se soit senti l’âme d’un écrivain engagé ces derniers temps donc on devrait bientôt en parler.

Parmi les heureux, il y a Éric Besson. Depuis 2007, tout lui réussit: il a trahi, puis il a conquis. Aujourd’hui, il fait parti du « cercle proche » et occupe la tête du ministère le plus emblématique de la présidence Sarkozy. Certains le pressentent même pour Matignon prochainement, et personne au Palais ne dément. Alors, Éric continue de faire ce qu’on lui dit, qu’il s’agisse de mentir sur les faits, d’expulser toujours plus de sans-papiers ou de lancer un débat mal-intentionné sur ce que c’est qu’être Français, un débat si attendu par la nation toute entière que le site en est saturé (et non censuré).

Pour finir, et c’est à simple titre informatif, il faut dire que ce petit monde s’affaire (ou s’affole) chaque jour autour d’un Président auquel la Constitution (réformée en 2007) confère une totale immunité. De mon côté de l’Atlantique, personne n’oserait envisager un traitement si particulier ; Bill Clinton en avait d’ailleurs fait les frais.

Bonne journée.

PS: oui, je vais tenter d’arrêter les billets sur la politique française, c’est probablement pas le plus intéressant et le plus utile.

http://zelittle.free.fr

Il y en a qui ne me manquent pas

octobre 30th, 2009 § 2

Étant loin de la France, mon regard sur l’actualité française a changé: il est plus distancié, plus froid, moins concerné. Je m’informe évidemment toujours à propos des news françaises, mais de façon un peu plus sélective et avec moins de sources qu’avant (j’ai fait le tri au niveau site d’info / blogs commentant l’actu), et j’accorde à l’inverse plus d’attention aux news américaines.

Depuis quelques jours et l’accumulation des « affaires », cette nouvelle distance avec la France m’a été plutôt agréable à vivre car, même si beaucoup de choses me déplaisent dans cette actualité politique, ça ne me concerne plus directement. Je suis français, mais expatrié!

Sur Jean Sarkozy et l’EPAD par exemple, j’ai pu suivre l’affaire sans trop m’énerver… parce que je me sentais loin de toute cette médiocrité (celle de Jean, celle de son père, celle des malheureux UMP qui défendaient l’indéfendable pour plaire au patron…).

Sur le verdict du procès de l’Angolagate, j’ai pu suivre la tournée médiatique (France 2, RTL) de la victime Pasqua sans avoir de réactions violentes… parce je me sentais loin de toute l’impudeur de cet homme si malhonnête qui convoque sa jeunesse résistante pour nous prouver sa bonté ad vitam aeternam. Il faut dire également que l’idée que Charles puisse passer quelques mois derrière les barreaux rendait son spectacle plus facile à accepter.

A propos de Dominique de Villepin, j’ai pu vivre son dernier sketch (où il incarne le rôle d’une victime et d’un sauveur de « la République en danger ») avec bonne humeur… parce que je sentais que son ambition présidentielle et sa prestance apparente allaient bientôt se confronter à une réalité qui lui est peu favorable. (Et puis, un ami de longue date de Chirac qui se fait passer pour le garant de nos valeurs ? L’inventeur du CPE qui se pose comme le meilleur opposant de Sarkozy ? Pas crédible comme casting)

Dernier sujet, celui des fabuleuses dépenses de l’Etat durant la présidence du conseil européen par Nicolas Sarkozy. C’est probablement sur cette affaire qu’il est le plus difficile de garder son calme, même pour un expatrié, car on parle de très grosses dépenses totalement inutiles (un repas à 5000 euros par tête, une moquette à 90 milles euros, une climatisation à 650 milles euros, etc). Mais dans ce domaine, je ne sais pas si c’est la distance ou la fatigue (fatigué de ces excès à répétition qui ne sont jamais vraiment sanctionnés par les électeurs) qui fait que je ne m’énerve pas…

Bref, je pense que c’est une bonne période pour moi pour être à l’étranger. Je n’ai pas à subir en pleine face toutes ces affaires médiocres ou insultantes.

Bien sûr, la politique américaine a son lot de personnages médiocres et détestables (et ils font du bruit en ce moment au Congrès sur la réforme du système de santé), mais il y a une grosse différence avec la France: ici, quand on regarde tout en haut, en direction du président, on a espoir.

Bonne journée.

Tranches de précarité #2

octobre 24th, 2009 Commentaires fermés

C’est l’histoire d’une étudiante américaine qui va à la même université que moi, Portland State University. Il y a quelques mois, deux jours après la fin des cours du 3ème trimestre (Spring Term) et alors qu’elle allait reprendre les cours quelques semaines plus tard pour une session en été (Summer Term), elle a eu un accident et s’est cassé le poignet (vraiment cassé). Elle a du subir une opération chirurgicale consistant à remplacer ses os de l’avant-bras et du poignet par une tige en métal d’une quinzaine de centimètres. Coût de l’opération: $30 000. Tout au long de l’année universitaire, cette étudiante avait payé l’assurance de l’université, mais l’université n’a rien remboursé parce que l’accident n’avait pas eu lieu pendant une période de cours. Légalement, l’université n’a rien à se reprocher. Sa famille a du tout prendre en charge.

    Le rêve américain serait-il un mythe ? C’est en tout cas ce que laissent penser de nombreux chiffres sur les inégalités et leur perpétuation entre les générations. Cet article résume une partie de ces données. Si les couches sociales ont tendance à plus se reproduire aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple, on le doit au moins en partie au coût de l’éducation: niveau d’études et salaires étant très liés, ceux qui ne peuvent étudier dans le supérieur faute de moyens restent généralement dans la pauvreté.

      Conséquence directe de la crise, le salaire minimum légal va baisser dans le Colorado: les prix ayant diminué avec la chute de la demande, le salaire minimum légal suit le mouvement. Une première depuis la création du salaire minimal en 1938.

        Bonne journée.

        Lutter contre l’absentéisme en classe ? Faisons-les payer!

        octobre 14th, 2009 § 9

        Alors que l’on débat, en France et sur Facebook, de l’idée de récompenser les élèves (via une « cagnotte » collective, destinée à financer un projet éducatif) s’ils réduisent le taux d’absentéisme de la classe, les Etats-Unis semblent être en avance sur le sujet. Quel est leur secret ? Faire payer, très cher, leur éducation aux élèves.

        Mais avant de vous démontrer par un raisonnement incroyablement bancal que ça marche, que le coût élevé des études incite vraiment les élèves à venir en cours, trois remarques préliminaires afin d’éviter les insultes:

        i) Je ne défends absolument pas ce système où l’étudiant paie très cher, il est incroyablement injuste et participe à l’accroissement inexorable des inégalités aux Etats-Unis. Qu’importe son efficacité sur l’absentéisme des élèves, il est à rejeter, comme est à rejeter le système qui veut que chacun se soigne selon ses moyens ;

        ii) Les études sur l’absentéisme, ses causes, ses conséquences, les moyens de le réduire, sont légions (1, 2, 3, 4… etc.) mais aucune (à ma connaissance) ne traite exactement de la question de l’effet du coût de la scolarité sur l’absentéisme. Bref, je suis un pionnier (^^), donc merci d’excuser tous les défauts de mon « étude » ;

        iii) Pour faire une bonne étude sur la question, il faudrait des données très précises: des comparaisons entre universités américaines (prix de la scolarité vs. taux d’absentéisme), des comparaisons internationales sur l’absentéisme (dans les pays où l’université est gratuite vs. dans les pays où elle est payante), des chiffres sur l’évolution de l’absentéisme aux Etats-Unis comparés à l’inflation du coût des universités, etc. Malgré mes recherches intensives, je n’ai pas trouvé ces données, donc en gros, tout ce que je vais vous dire ne se base sur rien de solide!

        J’invoque donc votre indulgence.

        Mon hypothèse est la suivante: une éducation chère, dont le coût est assumé par l’élève ou sa famille et non par l’Etat, a un effet négatif sur le taux d’absentéisme des élèves. Par négatif, j’entends que plus la scolarité est chère pour l’étudiant, moins il aura tendance à sécher.

        • Premier argument, mon expérience en université américaine: le coût de ma scolarité à Portland est d’environ 1500 dollars pour l’année. Je l’avoue, cette somme n’est pas une incitation suffisante pour moi pour me consacrer très intensément à mes études, c’est-à-dire travailler très dur chaque jour et ne jamais manquer le moindre cours. Je suis plutôt sérieux (^^), donc mon taux d’absentéisme sera faible à la fin de l’année, mais il ne sera assurément pas nul. Et, qu’importe le coût de la scolarité, tant qu’on reste dans une certaine limite (entre 0 et 3000 dollars environ pour mon cas), mon attitude resterait la même. Par contre, si ma scolarité devait coûter beaucoup plus que 3000 dollars, il est possible que je devienne un élève absolument irréprochable. Le coût de ma scolarité pourrait donc avoir un effet sur mon absentéisme.
        • Deuxième argument, mes observations de terrain: l’université où j’étudie, Portland State University, coûte environ 7000 dollars à l’année aux étudiants américains originaires de l’Oregon (montant variable selon le nombre d’heures de cours suivies). Pour les étudiants venant d’un autre Etat (Californie, Montana ou autre), l’année coûte environ 25000 dollars (cette discrimination tarifaire s’explique de deux manières: la volonté de dissuader les étudiants locaux de partir étudier ailleurs, et la xénophobie entre Etats^^). Ces frais très élevés ont, à mon avis, un vrai effet incitatif sur la présence et le sérieux des élèves: il y a plutôt peu d’absents (je dirais 10%) alors que les professeurs ne notent pas les absences, et il n’y a pas un seul bavardage en cours, vraiment. En France, non seulement les élèves parlent entre eux, mais ils ne viennent qu’en faible nombre dans les cours où l’appel n’est pas fait (entre 50 et 70% je dirais, selon ma propre expérience). Je vois donc ici assez clairement un effet négatif du coût de la scolarité sur l’absentéisme des élèves.
        • Troisième argument, l’effet de l’auto-financement: une étude menée dans des écoles américaines montre que les élèves qui disposent de la gratuité de la cantine ont un taux d’absentéisme supérieur à ceux qui paient pour la cantine. Si on considère la cantine comme un coût inhérent à la scolarité, il y a donc bien un effet concret: ceux qui paient vont plus en cours que ceux qui ne paient pas. Cependant, l’honnêteté intellectuelle m’oblige à vous parler d’une autre étude américaine, disponible gratuitement ici, qui montre que les étudiants qui financent eux-mêmes leurs études (avec ou sans l’aide de leurs parents) ne vont pas plus en cours que les autres. L’effet est nul (en fait il est très faiblement positif, de l’ordre de 0,03% seulement). Cependant, cette étude a été menée dans une faculté d’agriculture, donc on peut s’interroger sur la rationalité du panel concerné (insulte gratuite et infondée de ma part mais qui me permet de négliger les résultats d’une étude discordante^^).

        Voilà, ce long et inutile billet arrive à sa fin. J’espère vous avoir convaincu d’au moins une chose: on peut faire dire à peu près tout ce qu’on veut à une étude si l’on s’affranchit de certaines règles. Vous noterez tout de même que j’ai fini mon argumentation par une référence qui contredit ma thèse initiale, ce qui prouve que je suis 1. intellectuellement honnête, 2. probablement dans l’erreur.

        Merci et bravo pour avoir lu en entier ce torchon qui ne respecte aucune des méthodes scientifiques que l’ami René Descartes a jadis établies. Pour ceux qui ont scrollé pour lire seulement la conclusion, voici les deux seules informations intéressantes à retenir: 1. une année à PSU coûte environ 7000 dollars aux jeunes de l’Oregon et 25000 dollars aux autres, 2. cela ne devrait pas changer avant un bon moment.

        Vive l’Amérique (sic), vive la France (vraiment), et à bientôt.

        Tranches de précarité

        septembre 24th, 2009 Commentaires fermés

        Les Etats-Unis sont le pays le plus riche du monde et disposent d’un PIB/habitant très élevé (autour de $40000 par an), mais ils n’ont pas de modèle social digne de ce nom et beaucoup, beaucoup d’Américains vivent dans la précarité.  Voici deux exemples, très classiques et connus, que mon colocataire et moi avons abordés.

        Premier exemple, la santé. Mon colocataire travaille dans une petite entreprise (un magasin de vélos) qui n’est pas suffisamment grosse pour pouvoir lui fournir une assurance santé. Il profitait donc jusqu’à présent de la  couverture de sa compagne, avocate pour le compte de l’Etat. Or, sa compagne est partie étudier en Europe. Elle a donc quitté son travail, et va perdre son assurance, ce qui affectera directement mon colocataire. Ces dernières semaines, sachant qu’il allait perdre sa couverture, il a passé de nombreuses visites médicales pour ne pas avoir de mauvaises surprises dans les prochains mois. Tout semble bon pour lui aujourd’hui, mais s’il venait à avoir un problème de santé, il aurait inévitablement de gros ennuis financiers. Cette situation va peut-être changer bientôt si la réforme du système de santé américain passe, mais la chose n’est pas certaine pour l’instant et il faut donc vivre avec cette épée de Damoclès sur la tête. Voilà une tranche de précarité, bien connue mais toujours déroutante pour un français.

        Un autre exemple concerne les congés payés. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de minimum légal à ce niveau-là. Ainsi, un quart des travailleurs américains n’a pas la moindre semaine de congés. La moyenne est de 14 jours par an, mais ce chiffre, déjà très faible, cache de fortes disparités. Mon colocataire a la chance d’avoir de la valeur aux yeux de son employeur, et a donc pu négocier 4 semaines de congés payés, mais sa compagne avocate n’a que 2 semaines par an! Dernier chiffre pour finir: seuls 14% des Américains prennent deux semaines de vacances consécutives.

        Bref, il est plaisant de passer du temps aux Etats-Unis, d’y voyager, d’y étudier… mais il ne fait pas toujours bon y travailler.

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