Parmi les choses qui frappent l’étranger ici, il y a le respect. Respect des autres, respect des règles. Les automobilistes, par exemple, respectent les piétons et sont très courtois avec eux. Ils conduisent très prudemment, et ne tentent que rarement de passer à l’orange… Si chaque ville du monde a son automobiliste-type et donc son tempérament en terme de conduite et de transport urbain, Portland est clairement du type apaisé et courtois. Le chauffard s’y fait rare. Quant aux piétons, loin de profiter de la situation, ils respectent très largement les règles: ils sont peu à traverser au rouge, et encore moins à s’engager hors des passages piétons. Le Français, qui traverse partout, tout le temps, n’importe comment, fait exception et passe pour ce qu’il est, un mal élevé.
On retrouve ce trait dans d’autres circonstances. Les manifestations par exemple: elles ne sont ni très nombreuses, ni très bruyantes, ni très dérangeantes. On dirait presque que le but des manifestants est d’organiser des petits rassemblements parfaitement civilisés, où tout reste bien ordonné. Pour la révolution, il faudra repasser. C’est aussi le cas dans les bâtiments de l’université: les associations, les groupes d’étudiants, quand ils ont quelque chose à afficher (une info, une pub), le font en respectant bien le cadre des panneaux d’affichage. On voit très peu de feuilles scotchées ou de tags n’importe où sur les murs. A l’intérieur des salles de cours, l’ambiance est très sérieuse: les étudiants ne chuchotent presque jamais entre eux et sont toujours très respectueux vis-à-vis des profs. En six mois, je n’ai pas assisté à un seul échange tendu entre un prof et un élève, ou même à un seul geste, même minime, de mépris, d’irrespect… Ça me semble pourtant relativement fréquent en université française. Plus globalement, on sent une vraie paix sociale dans les rues de Portland, une ville pourtant assez pauvre. De jour comme de nuit, on se sent en parfaite sécurité, et c’est un sentiment qui me semble très largement partagé. Je n’ai d’ailleurs pas vu le moindre incident, la moindre scène de violence en six mois ici. Je pense cependant que Portland est à ce niveau un cas un peu particulier, et que ce sentiment de paix, de sécurité, de respect, est très variable d’une ville, d’une région à l’autre.
Autre image qui frappe l’œil du Français, la qualité des routes: c’est une constante aux États-Unis, les routes ne sont pas toujours en bon état. A Portland, dans les quartiers pavillonnaires comme le mien, on trouve de nombreuses rues non-goudronnées, ou en très mauvais état. Et la nuit, seuls le centre-ville et les grandes axes sont éclairés, ce qui pose parfois de gros problèmes de sécurité routière. Ces sous-investissements publics tiennent principalement au mode particulier de financement des biens publics, un problème que nous n’avons pas vraiment en France où les moyens financiers sont assez centralisés puis redistribués. A l’inverse, et c’est assez étrange, tous les magasins sont éclairés la nuit (pas seulement les vitrines, toute la surface). Étrange paradoxe que de ne pas avoir d’éclairage sur les routes, mais d’en avoir venant des magasins fermés.
Dernière image, celle du quartier où je vis, de mes voisins. C’est un quartier pavillonnaire, avec des maisons moyennes, ni pauvres ni bourgeoises, et leur petit carré de pelouse devant, leur jardin derrière. Il y a surtout des familles avec enfants ici, et très peu de seniors ou d’étudiants. Là encore, l’image marquante, c’est le calme, le silence, le côté paisible. En six mois, je n’ai pas écouté la moindre engueulade chez des voisins ; en fait, je n’ai jamais été dérangé par quoi que ce soit dehors. Les gens ont ici des vies de familles assez normales: ils partent en voiture le matin, reviennent vers 5h l’après-midi, restent un peu dehors ensuite (quand il fait beau) à jardiner ou à lire assis sur une chaise, vont marcher seuls ou en couple, promènent leur chien, à pied ou en vélo. En soirée, on voit les lumières s’allumer, on voit les gens dans leur cuisine, devant leur télé. Ces styles de vie-là me rappellent la France. Rien ne diffère fondamentalement.
C’est en voyant cela qu’on prend pleinement conscience de la proximité entre la France, l’Europe et les États-Unis. Nous faisons très clairement partie de la même civilisation ; nos vies sont très proches les unes des autres, nous avons à peu de choses près les mêmes rythmes, les mêmes activités, les mêmes structures.
En arrivant aux États-Unis, je pensais que ma vie allait fondamentalement changer. En réalité, non ; seul le décor a changé, les fondements sont toujours les mêmes. Et ça ne me dérange pas du tout, au contraire. Je ne cherchais pas à fuir quoi que ce soit en venant ici, je voulais juste comprendre ce qui nous rapproche et nous éloigne, nous Français, nous Américains. Je pense avoir avancé dans ce domaine.
Quant à vous, si vous voulez changer de vie, vivre quelque chose de radicalement différent, je pense qu’il vous faudra fuir l’Occident (l’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord) et partir vraiment à l’aventure, dans des régions dont on ne connait, nous Occidentaux, ni la langue, ni l’Histoire, ni la culture: vous avez le choix. L’adaptation y sera sans doute plus difficile, mais vous y découvrirez des choses, des vies, des personnes, des philosophies, vraiment étrangères.
A bientôt.